Étude sur l'après-mine en France - La mine de plomb argent - Ternand (69)

À Ternand, entre responsabilisation et abandon des victimes de l'après-mine

 https://www.systext.org/node/2039

               

Carreau de la mine de plomb-argent de Ternand, entre les années 1913 et 1916. Au premier plan, la rivière Azergues longeant les bâtiments miniers | Édit. Delorme, Phot.-L'Arbresle · Document numérisé, exemplaire de la carte postale appartenant à E. Feyeux        

SystExt | Communiqué de presse · Pour une réelle gestion des risques associés aux pollutions minières en France métropolitaine

COMMUNIQUÉ DE PRESSE
Pour une réelle gestion des risques associés aux pollutions minières en France métropolitaine

En France métropolitaine, plusieurs milliers de sites miniers ont été exploités pour des substances "métalliques" telles que le fer, le plomb, le zinc, l’étain, l’or, l’argent... ou encore pour l'uranium et le charbon. Ces sites comportent des sources de pollution (dépôts de déchets miniers, émergences minières, etc.) souvent mal connues. Elles peuvent générer des pollutions en métaux et métalloïdes, dont certains sont particulièrement toxiques pour la vie humaine ou tout autre forme de vie (plomb et arsenic, notamment). La contamination des milieux qui en résulte peut affecter la santé des personnes et mettre en danger leurs conditions de vie. Le nombre de victimes n’est pas connu, mais des milliers de personnes sont exposées de manière chronique aux polluants issus des activités minières.

Dans la plupart des cas, la responsabilité de ces sites miniers et de la gestion des risques sanitaires, environnementaux et sociaux associés ("l’après-mine") relève de l’État. Cependant, il n’informe et ne prend en charge que trop rarement les populations concernées et les victimes. À l’inverse, il tend à faire peser les responsabilités sur les communautés locales et les personnes affectées.

Face à ces insuffisances, des actrices et acteurs concernés par les dommages de l’après-mine, à l’échelle locale ou nationale, se sont réunis du 09 au 11 septembre 2022 dans le cadre d’un forum citoyen. Les personnes alors présentes ainsi que tous les autres signataires de ce communiqué recommandent :
- Un changement d’approche dans l’évaluation et la gestion des risques sanitaires. En effet, les méthodologies actuelles comportent des biais majeurs (en lien notamment avec la toxicité des métaux, la multi-exposition, la biosurveillance ou encore l’épidémiologie), ne permettant pas de prendre en charge ces problématiques efficacement ;
- L’augmentation des moyens humains et financiers alloués aux services en charge de l’après-mine. Il est nécessaire que tous les anciens sites miniers fassent l’objet d’un diagnostic environnemental et sanitaire détaillé, et que les résultats associés soient communiqués dans les plus brefs délais. En effet, lorsque des études sont réalisées, il se passe fréquemment plus de trois ans entre leur commencement et la transmission des résultats aux personnes concernées. Ce délai est insupportable pour les victimes. Il est également impératif que des programmes de réhabilitation systématiques et homogènes soient réalisés, en anticipant la persistance des pollutions minières sur le très long terme ;
- La modification des lois et des réglementations en vigueur. Actuellement, et en dépit des réformes en cours, les cadres législatif et réglementaire comportent des failles majeures. Ces dernières conduisent à une responsabilisation intolérable des victimes. Celles qui s’engagent dans des procédures juridiques sont soumises à des démarches épuisantes et sont le plus souvent déboutées. Il n’existe à ce jour aucun moyen d’obtenir réparation des préjudices subis. Cette situation doit cesser de toute urgence, les victimes doivent être reconnues et recouvrer des conditions de vie saines.

Mardi 18 avril 2023.

► Signataires
ADAMVM - Association pour la Dépollution des Anciennes Mines de la Vieille Montagne
ADEBA - Association pour la Défense de l'Environnement du Bassin et ses Alentours
AFVS - Association des familles victimes du saturnisme
Association de Protection des Rivières Ariégeoises "Le Chabot"
Association Gratte Papiers
Association Henri Pézerat Santé - Travail - Environnement
Association "la Mine" - Association des habitants du site des Mines de Pallières, Thoiras (30)
Collectif de défense des bassins miniers lorrains
Collectif Mines d'Uranium
CRIIRAD - Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité
Eau et Rivières de Bretagne
France Nature Environnement
Préservons la forêt des Colettes
Stop Mine Salau
Stop Mines 23
Stop Mines 87
SystExt - Systèmes Extractifs et Environnements
Treguennec, non à la mine de lithium

Audrey ANDRIEU ; Madeleine AUDOIR ; Sylviane AUMÔNIER ; Nathalie AUZANNEAU ; Cécile AUZENDE, Riveraine Salau ; Amélia AYORA ; Jean-Claude BAREILLE ; Françoise BARBERGER ; Nadine BONTEMPS ; Jamil BONTEMPS ; Max BRAIL ; Jean-Louis CALMETTES, Auteur de "Et au milieu coule du cadmium" - Autoédition - 2019 ; André CHARRIÈRE, Géologue ; Pierre COUTURIER ; Michel DELBOSC ; Henri DELRIEU ; Pascale DUPUIS ; Denis EIFLER ; Emmanuel FEYEUX, Victime de l'après-mine ; Jenoudin FIDAHOUSSEN ; Pierre GADIOLET ; Hélène GUILLON DAVELUY ; Bérangère LABALETTE ; Patricia LAEDERICH, Membre du Bureau collégial Préservons la forêt des Colettes - Chargée des relations presse ; Katia LANGS ; Jacqueline LHOMME LEOMENT ; Sandrine LONGIS ; Sophie LURIOT ; Jacques MAYER ; Alain MROZEK ; Frédéric OGÉ ; Aldéric PICHARD ; Cécile POULY ; Hervé PUJOL, Ingénieur de recherche CNRS (retraité) - Association Gratte Papiers ; Laurent RAMDANI ; Jacques RENOUD, Adjoint Commune de Couflens ; Benoît ROBERT ; Michel SALA, Député Gard ; Coralie SAVATTEZ, Victime de l'après-mine ; Marie-Anne SLUIS ; Philippe SPETZ ; Alexis THEYS ; Carole TOUBIN-PIGUET ; Marie-P. VAN CLEEF ; Steve VERNAY ; Samantha WOLTERS.

Plus d'informations :

France Inter - C'est bientôt demain - Antoine Chao - Vendredi 5 juin 2022 - 14h40

 
 

Résumé

Une petite promenade au bord de l'Azergues qui s'écoule au pied du joli village de Ternand avec Emmanuel Feyeux, habitant de la commune et lanceur d'alerte qui va nous ouvrir les yeux sur les problèmes de l'après-mine

En savoir plus

Au sud du Beaujolais, sur la commune de Ternand, "petite cité de caractère", les vestiges d'une ancienne mine de plomb font tache. Suite à des analyses effectuées par Géodéris, bureau d’expertise financé par le ministère de l’Ecologie, pour répondre à une directive européenne, Emmanuel Feyeux apprend que sa maison acquise il y a quelques années, au bord de l'Azergues, est posée sur des déchets très toxiques, résidus d'une exploitation minière datant du début du XIXème siècle.

En France métropolitaine, près d’un millier de sites miniers ont été exploités pour des substances "métalliques" (hors uranium et charbon) telles que le plomb, le zinc, l’étain, l’or, l’argent, etc. Fermées voire abandonnées depuis, ceux-ci présentent des importants dépôts de déchets miniers et des eaux minières contaminées. Le plus souvent, ces sources de pollution n’ont pas été mises en sécurité et il en résulte des pollutions chimiques (en métaux et métalloïdes), diffuses et étendues , dont les impacts peuvent être majeurs sur les eaux souterraines, les eaux de surface, les sols et la biodiversité. Les concentrations en métaux et métalloïdes mesurées dans ces milieux peuvent atteindre des niveaux records, avec, par exemple, plusieurs pourcents de plomb, de zinc, d’arsenic dans les sols, à des niveaux bien supérieurs à ce qui est observé « classiquement » dans le cas de pollutions industrielles.
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En 2006, la Commission européenne a émis une directive pour obliger les pays membres à améliorer la gestion des déchets des industries extractives. « Les déchets miniers représentent les volumes de déchets les plus conséquents de l’Union européenne, a-t-elle constaté. Ils peuvent contenir de grandes quantités de substances dangereuses. »

Cette directive a imposé de réaliser et de mettre à jour régulièrement « un inventaire des installations de gestion de déchets fermées, y compris les installations désaffectées, situées sur leur territoire et ayant des incidences graves sur l'environnement ou risquant, à court ou à moyen terme, de constituer une menace sérieuse pour la santé humaine. » Cet inventaire devait être terminé en 2012 et « mis à la disposition du public ». Mais France via le site du ministère de la Transition écologique on ne trouve pour l'instant qu’un tableau listant 28 anciens secteurs miniers de France métropolitaine. Sans explication, ni description.

Reporterre a décidé de rendre disponible l’inventaire de Géodéris .
Reporterre - L'enquête de Celia Izoard  : Mines : l'héritage toxique de la France
Le site d'Emmanuel Feyeux : Mine de Ternand me plombe
L'association SystExt (Systèmes extractifs et Environnements) qui regroupe des professionnels en activité ayant un intérêt commun pour les systèmes extractifs, en particulier miniers, et des compétences pour s'approprier les problématiques techniques associées à ces activités.
GEODERIS :Groupement d'intérêt public qui apporte à l'état une assistance et expertise en matière d'après-mine

Réalisation Khoi Nguyen

L'équipe
Antoine Chao
Production


Reporterre - Mines : l'héritage toxique de la France - Celia Izoard - Benjamin Bergnes

 https://reporterre.net/Mines-l-heritage-toxique-de-la-France

 

Extraits du second volet "La calvaire des victimes des mines empoisonnées"

"Vivre en cosmonaute

Emmanuel, lui aussi, « vit en cosmonaute », comme il dit. Dans le village de Ternand, dans le Rhône, cet ouvrier de la chimie de 45 ans a acheté une petite maison qui lui coûte 800 euros par mois de crédit immobilier. Dans ce joli vallon, on a extrait du plomb entre 1870 et 1920. Après une première étude en 2011, Géodéris est revenu en 2015 pour réaliser des prélèvements : ils sont catastrophiques.

Sur son terrain, on a trouvé 50 g de plomb par kg de sol, plus de 4 g d’arsenic par kg de sol (quand la concentration médiane dans les sols en France est de 0,012 g/kg), ainsi que du cadmium et de l’antimoine. Emmanuel savait que sa maison se trouvait à côté d’une ancienne mine, mais il ignorait vivre sur les déchets miniers eux-mêmes.

Le rapport Géodéris préconise de « supprimer l’exposition […] aux poussières » venant « de l’extérieur et des talus » et établit formellement que « la présence d’enfants en bas âge » est « incompatible dès le premier jour d’exposition » : aucun enfant ne pourrait passer une seule journée dans le jardin d’Emmanuel sans courir un risque d’intoxication. Ses voisins sont dans une situation semblable : on a relevé 100 g de plomb par kg de terre sur l’aire de jeux des enfants, qui s’avère aussi être un dépôt minier.

 Les habitants n’en ont été informés que trois ans plus tard. La réunion a eu lieu en avril 2018 en présence du sous-préfet du Rhône, de l’Agence régionale de santé, de la Dreal et de quelques élus. « Le sous-préfet, Pierre Castodi, a répété plusieurs fois que s’il y avait eu une mine à cet endroit, ce n’était la faute de personne, raconte Emmanuel, que l’État n’en était pas responsable et que nous devions déjà nous estimer heureux d’être informés des risques "en toute transparence". On nous a expliqué qu’il suffisait de suivre les recommandations sanitaires qui "relèvent du bon sens". »

À cette occasion, le représentant de l’État a conseillé aux riverains de recouvrir leurs terrains de terre végétale, à leurs frais, ajoutant que si cela ne leur convenait pas, ils restaient libres de vendre leurs maisons. « On est dans une société qui cherche de plus en plus à se prémunir des risques, a relativisé le sous-préfet [1]. Quand on habite près d’une rivière ou en bord de route, il y a des risques aussi. »

Emmanuel a abandonné son potager et son intérieur est impeccable, il veille scrupuleusement à ne faire entrer aucune poussière. Pourtant, le taux d’arsenic dans son sang est deux fois et demi au-dessus du seuil de surexposition. « Je risque un cancer, dans dix ou quinze ans. Mais j’aurai du mal à faire la preuve que c’est lié à cette pollution. »

Justice incertaine

De fait, en 2020, le pôle environnement du tribunal d’Aix-en-Provence a classé sans suite les 45 plaintes pour empoisonnement déposées par les riverains des mines gardoises de La Croix de Pallières, intoxiqués à l’arsenic, au plomb et au cadmium : selon le tribunal, on ne peut être certain que les mines en soient à l’origine.

Dans son pâté de maisons, Emmanuel est le seul à avoir intenté un procès à l’État au titre de la réparation d’un dommage minier. Dans le mémoire versé au tribunal administratif de Lyon, la préfecture mitraille les arguments : le plaignant aurait dû fournir la preuve que l’exploitant de la mine qui a fermé en 1920 est réellement défaillant ; il ne s’agit pas d’un « dommage minier » puisque ce n’est ni un « affaissement » ni un « accident » ; et quand bien même l’État serait responsable, il serait exonéré par « la faute de la victime » : Emmanuel « savait qu’il s’installait sur le site d’une ancienne mine puisqu’il bénéficiait [dans l’acte de vente] d’un droit de puisage dans le puits de la mine ». Enfin, il n’y a pas lieu d’indemniser le propriétaire puisque « sa propriété conserve ses usages » : Emmanuel peut limiter les risques en adoptant « certains comportements » et « n’a pas d’enfant en bas âge ». Enfin, pas pour l’instant.

Comme pour Steve et Coralie, les juges ont considéré que, la maison étant polluée, elle n’avait jamais pu acquérir la valeur à laquelle Emmanuel l’avait achetée en 2009. En 2020, ils ont condamné l’État à lui verser la maigre somme de 8 000 euros au titre d’un « trouble de jouissance » de son bien.

« L’État fait preuve d’une froide indifférence vis-à-vis des habitants »

« C’est d’une violence extrême, commente Emmanuel. Je ne comprends pas pourquoi l’État n’assume pas ce passif. Il y a énormément de personnes qui vont être confrontés aux mêmes problèmes. » Pour Laura Verdier, consultante en sols pollués, c’est la raison d’être de cette stratégie : « L’État ne veut pas créer de précédents en menant des expropriations, sinon toutes les personnes concernées vont lever la main pour être indemnisées. Ses budgets ne sont pas à la hauteur. »"